Ce rapport résulte des entretiens réalisés et de l’analyse de documents de différentes sources. Il est conséquent d’une étude demandée par la gauche au parlement européen sur les impacts du télétravail et plus particulièrement sur les femmes exerçant.
Pour la plupart des salariées interviewé.e.s pour cette étude, il n’y a pas de différences marquantes entre leur situation professionnelle et celles de leurs collègues masculins. L’intensité du travail, les horaires, le manque de relations avec les collègues sont comparables. Ce que note sans hésitation un directeur d’entreprise à la question :
Pensez-vous que le télétravail pourrait avoir des effets différents sur les hommes, d’une part, et, d’autre part, sur les femmes ? « Je ne vois pas pourquoi »
Mais, la différence significative porte sur la double charge, celle professionnelle et celle familiale. La journée de télétravail d’une salariée se prolonge par celle des tâches à la maison – les enfants, les repas, etc. – soit, le quotidien qui ne change pas pour ces femmes. Donc, pour le moment il n’y a pas d’impacts propres du télétravail aux salariées qui les affecteraient plus que les salariés en sachant que les différences de salaires restent maintenues et les possibilités d’évolution de carrière sont toujours les mêmes. Nous insistons, nous n’avons pas recueilli de propos traduisant des situations nouvelles en télétravail par rapport à celles habituelles du bureau positives ou négatives car d’une part, la période de télétravail s’est concentrée sur 4 mois au maximum. Et, d’autre part, parce que ce confinement n’a pas été un terrain d’expérimentations innovantes en matière de gestion des salarié.e.s, d’organisation et de fonctionnement. Les organigrammes, les rapports hiérarchiques, les objectifs sont comparables entre les deux univers. Mais, on peut avancer que des micro-changements, des adaptations plus ou moins discrétes sont contenues dans les entretiens. Plus particulièrement, un rapport au temps qui n’est plus scandé par les trajets, par les horaires du bureau. Et, plus important et conséquent de ce rapport au temps, une charge de travail intensifiée, une pression auto-alimentée, le stress à réaliser les objectifs définis par la hiérarchie et également ceux que l’on s’assigne qui à moyen terme peuvent avoir des impacts inquiétants pour les salarié.e.s..
Nous pensons qu’il faut ne pas se limiter aux propos exprimés lors des entretiens quant à la réception actuelle du télétravail mais, qu’il serait nécessaire d’approfondir les observations et l’analyse avec un temps de recul après la sortie du confinement en faisant l’hypothèse que l’approbation partagée du télétravail pourrait occulter des problématiques intersticielles à première vue mais sans doute beaucoup plus déterminantes dans le champ des rapports sociaux.
Ceux-ci pourraient être traversés de déceptions, de frustrations, de revendications, de remises en question et même peut-être de conflits nouveaux dans un contexte d’affaiblissement des collectifs de travail et de fragmentation des salarié.e.s. Salarié.e.s qui relèvent des « cols blancs » parfois moins immédiatementconscients des rapports de domination et des formes d’aliénation propre aux métiers de bureau18 mais qui confrontés au réel pourraient s’exprimer sous d’autres modes et par des formes de regroupements jusque là inédits à partir des usages du numérique et des réseaux sociaux.
C’est ainsi qu’une enquête quantitative par questionnaire interne à une entreprise de services, composée très majoritairement d’hommes, confirme cette observation.,
• 64 % des salarié.e.s regrettent de pratiquer le télétravail parce que les rapports avec les collègues disparaissent,
• 43 % ne bénéficient pas d’un espace de travail équipé à domicile et disent manquer de calme et de concentration,
• 50 % marquent que leur productivité a diminué de ce fait,
• 42 % soulignent la perte du lien social avec les collectifs internes et souffrent de la porosité entre vie professionnelle et vie privée,
• 77 % d’entre eux observent que le télétravail entraîne une hausse sensible des dépenses conséquentes (énergies, fournitures, etc.) sans que les prîmes allouées par l’entreprise puissent compenser ces coûts.
Il est alors nécessaire d’interroger les conditions de possibilité pour « faire société » si le télétravail devait se généraliser et se pérenniser, y compris sur le mode de 2 ou 3 jours au maximum par semaine, irait-on, sinon, vers un univers déshumanisé que pointe une jeune juriste interviewée, « Pour moi qui suis une lectrice de sciences fictions, j’ai l’impression de vivre de la science-fiction avec le télétravail, le confinement, le couvre-feu. »
Une science-fiction peut-être pas si fictionnelle. Le télétravail participerait-il de la « société liquide » annoncée par le philosophe et sociologue Zygmunt Bauman dans son livre 20 ? Société toujours plus individualisée dans laquelle les outils numériques effacent les cadres spaciaux, ici le bureau, et temporels, ici, des horaires flottants, fluides régis par l’injonction d’achever la tâche ou la mission dans un temps non défini contractuellement. Le domicile dans lequel on exerce le télétravail résiste-t-il au nomadisme qui s’étend dans un grand nombre d’entreprises ?